1710

Mercure galant, mars 1710 [tome 3].

2017
Source : Mercure galant, mars 1710 [tome 3].
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Mercure galant, mars 1710 [tome 3]. §

[Mort de l’Abbé Faydit]* §

Mercure galant, mars 1710 [tome 3], p. 36-43.

Mre N… Amable Faydit, Prestre, connu dans la Republique des Lettres par quantité d’ouvrages sortis de sa plume, est mort à Riom âgé de prés de 70. ans. Il avoit passé une partie de sa jeunesse dans la Congregation de l’Oratoire, où ses talens particuliers, joints à une profonde érudition, luy avoient attiré beaucoup d’admirateurs. Il y avoit professé les Humanitez & même la Philosophie avec beaucoup de succés & d’applaudissement, & il eut au nombre de ses disciples d’illustres personnes qui sont aujourd’huy Patrons des Gens de Lettres. Cet Abbé estoit sorti de cette Congregation à laquelle, comme on sçait, on n’est jamais attaché par aucun engagement ; il composa plusieurs ouvrages aprés s’estre retiré auprés de Mr Lizot ancien Curé de Saint Severin son ami particulier. Il donna d’abord quelques reflexions sur le premier volume des Memoires de Mr de Tillemont, & il intitula cet ouvrage, Memoire des Memoires, &c. Ce Livre fit beaucoup de bruit ; le Traité qu’il donna ensuite sur la Trinité, n’en fit pas moins ; le P. Hugo Chanoine Regulier de l’Ordre de Saint Augustin de la Congregation de Prémontré, attaqua cet ouvrage, & cette critique produisit quelques réponses où Mr l’Abbé Faydit expliquoit ce qu’il avoit voulu dire en excluant de l’Essence de Dieu une unité numerique, & en n’y admettant qu’une unité specifique. La Presbyteromachie est aussi un petit ouvrage de ce sçavant Abbé sur le Quietisme, dont il a esté un rude Adversaire. Il adressa ensuite une Lettre à un Prieur des Carmes déchaussez contre la Tradition qu’on impute aux Religieux de cet Ordre, d’avoir soutenu que Pythagore a esté de leur Ordre. Cette Lettre est inserée dans un des Supplémens des Essais de Litterature. Il se chargea peu aprés de continuer ce même Supplément, & il en donna quelques volumes remplis d’une grande érudition & d’une fine critique. Il a fait aussi plusieurs autres ouvrages, & il est mort la plume à la main. Il estoit prest de donner une Critique generale des ouvrages de Mr le Clerc, lorsqu’il est allé luy-même rendre compte de ses sentimens & de sa doctrine à celuy qui juge tous les hommes. Il ne bornoit pas ses talens à faire des Livres ; il estoit Predicateur & excellent Predicateur ; dans le temps des affaires de l’Assemblée du Clergé de France de 1682. il fit un Sermon dans l’Eglise de Sainte Opportune, qui luy fit beaucoup d’honneur. Il y a long-temps qu’on attend ses Discours Polemiques qu’il promettoit depuis plusieurs années. Il estoit d’une tres-ancienne famille de Riom qui a donné à cette Ville-là pendant plus de trois cens ans de pere en fils des Avocats celebres, y en ayant encore actuellement de ce nom qui exercent avec éclat cette noble Profession. Cet Abbé estoit proche parent de Mr Faydit de Graville Conseiller au Presidial de Riom, mort âgé de 83. ans en 1694. Ce Magistrat avoit beaucoup contribué à la composition des doctes écrits du P. Sirmond, Confesseur de Louis XIII. dont Mr l’Abbé Faydit avoit l’honneur d’estre petit-neveu. Tous les Faydit descendent de Faydit Damoiseau de Jurgals dans le Vicomté de Turenne, & frere du fameux Jurisconsulte Faydit. Ils vivoient au commencement du 14. siecle. Il y a eu un Cardinal Faydit qu’on croit de cette famille.

[Fondation faite à Lyon pour des Prieres pendant les trois derniers jours du Carnaval] §

Mercure galant, mars 1710 [tome 3], p. 115-117.

Vous sçavez, que suivant un usage tres-ancien, on expose tous les ans à Paris le S. Sacrement pendant les trois derniers jours du Carnaval, afin que pendant que les débauches de la saison y regnent, on fasse de continuelles Prieres pour arrester la colere de Dieu ; c’est ce qui vient apparament de donner lieu à Mr Perrichon, un des plus considerables Citoyens de Lyon, d’y faire une Fondation dans l’Hôpital de la Charité, qui fera beaucoup d’honneur à sa Memoire. Il luy a donné un fond pour faire chanter tous les ans pendant les trois jours du Carnaval, une grande Messe avec Diacre, & Sous-Diacre, & qui doit estre precédée par une Priere en forme de Sermon le matin. Il doit y avoit l’aprés-dînée les Vespres en Musique ; il y aura aussi Salut, & le Sermon qui sera toujours fait par les plus habiles Predicateurs. Les trois Predicateurs qui ont ouvert cette année la Fondation, sont le Pere Epiphane de Lyon, Provincial des Recolets, qui fit l’Eloge en Chaire de Mr Perrichon, qui fut fort applaudi ; Mr Brunet, Chanoine Regulier de Saint Augustin de la Congregation de Saint Ruf, qui prêche le Caresme à Sainte Croix, & le Pere Lombard Jesuite.

[Mort de Mr Fléchier, Evêque de Nismes]* §

Mercure galant, mars 1710 [tome 3], p. 117-128.

Je vous manday le mois passé la mort de Mr Fléchier Evêque de Nismes, seulement pour vous l’annoncer & vous marquer que je vous en parlerois plus amplement. Je tiens ma parole ; mais je ne vous en apprendray rien qui ne soit beaucoup au-dessous de ce qu’on pourroit dire d’un Prelat si generalement estimé.

Vous sçavez que l’esprit de Mr Fléchier a brillé de si bonne heure par des ouvrages de toutes les sortes de caracteres qui font distinguer l’esprit des hommes, que Mrs de l’Academie Françoise eurent à peine connu l’étenduë de son vaste genie, & remarqué la pureté de la Langue qui se trouvoit dans tous ses ouvrages, qu’il fut choisi pour estre un des Membres de ce sçavant Corps ; il n’estoit pas encore élevé à l’Episcopat. Quand il s’est agi de parler en Orateur, jamais personne n’a porté plus loin que luy l’Art Oratoire, & lors qu’il s’est agi de Vers, ceux qu’il a faits ont toûjours paru si justes & de si bon goust qu’ils ont esté generalement estimez. Aussi a-t-il toûjours passé pour un homme universel. On a toûjours remarqué dans sa Prose, un parfait caractere d’éloquence, & formé sur les meilleurs modeles des anciens Romains quand il a parlé leur Langue, & la même chose a paru lorsqu’il a parlé la nostre. Il a fait des Odes, & des Poëmes qui ont fait beaucoup d’honneur à la France, & en cela, il a imité les grands Prelats des premiers siecles de l’Eglise, qui regardoient cette maniere d’écrire en Vers, sur des sujets utiles ou chrestiens, & entr’autres Saint Paulin, Saint Prosper, & Saint Gregoire de Nazianze, non comme un vain amusement ; mais comme une sainte & loüable occupation, & ces grands Evêques des premiers temps ne laissoient pas d’estre fort bons Orateurs, quoy qu’ils fussent fort bons Poëtes ; plusieurs de ces Prelats, ont comme Mr l’Evêque de Nismes, composé des Histoires, des Oraisons funebres & des Sermons qu’ils ont laissez à la posterité. Il a fait l’histoire du Cardinal Commendon, qui est écrite avec une grande pureté de langage ; celle de l’Empereur Theodose qu’il a faite par ordre du Roy pour l’instruction de Monseigneur le Dauphin, & la Vie du Cardinal Ximenés que les Espagnols ont Traduite en leur Langue. Tous ces Ouvrages sont des temoignages authentiques & éternels de sa grande habileté dans l’Art de bien écrire & de bien parler ; mais ses Oraisons funebres l’ont immortalisé en immortalisant ceux pour qui elles ont esté faites. La Morale de Jesus-Christ, y regne par tout ; ainsi au lieu que la pluspart des Oraisons funebres n’ont souvent esté que des Eloges de ceux pour qui elles ont esté composées, les siennes ont toujours confondu la vanité du siecle & fait triompher en même temps l’humilité chrestienne, & elles ont toûjours esté des Chef-d’œuvres d’une Eloquence qui a toujours tout rapporté à Dieu, & qui n’a rien eu de profane. Comme on n’a pû les entendre sans transport, on ne peut les lire sans en estre touché. Ainsi elles n’édifient pas moins qu’elles surprennent, & ceux qui aiment les vertus chrestiennes, sont charmez de les voir triompher dans des Discours où l’on n’a souvent vû regner que les vertus civiles & morales, politiques ou guerrieres.

Quant à ses Sermons, soit qu’il y ait fait des Eloges des Saints, soit qu’il y ait instruit familierement les peuples, ou qu’il y ait parlé d’une maniere plus relevée aux Testes couronnées, on en a toujours esté également charmé. On les a toûjours admirez quand même on les a vûs dépoüillez de l’action qui les animoit si noblement. Comme il estoit extrêmement versé dans l’Ecriture, & instruit à fond dans la connoissance des Peres, on n’y trouvoit point de ces idées communes & vagues qui n’ont rien que de general, qui ne tombent sur personne en particulier, & que personne ne s’applique, ny de ces détails dangereux qui servent plutost à apprendre les intrigues du peché qu’à convertir le pecheur. Mais on y voit des Dogmes qui n’instruisent que pour éclairer & pour confondre ; une Morale qui ne plaist que pour toucher, & par tout dequoy rassasier les ames d’une agreable & solide nourriture. On y voit une Morale qui n’est ny lâche ny severe ; des portraits des mœurs de ce siecle peints au naturel, & formez sur la parfaite connoissance qu’il avoit du cœur humain, & sur l’usage du grand monde.

Tous ses travaux extraordinaires, & tout le temps qu’il a donné à l’étude du Cabinet, ne luy ont jamais empêché un moment de se consacrer au bien de son Diocese. Il écoutoit tout le monde avec bonté ; il soûtenoit les interests des Pauvres avec zele, & son exactitude estoit grande à remplir toutes les fonctions de la Prelature. Les dernieres qu’il a faites ont esté non-seulement le charme de tout son Diocese ; mais aussi de toute l’Europe. Ce sont les deux Lettres Pastorales qu’il a faites pendant le fort de la calamité publique. Elles furent trouvées si remplies d’onction, & si consolantes que les plus malheureux aprés les avoir vûës, souffroient avec patience, & se faisoient un plaisir de leur malheur. Jamais ouvrage n’a plus touché les cœurs, & quoy que l’Evêque parlast, il sembloit que l’on n’entendoit parler que l’Ecriture. Ces Lettres ont esté imprimées dans toutes les Provinces du Royaume, & il est peu de Peres de familles qui ne les conservent.

[Feste galante faite à Chasteau Gontier pour la naissance de Monseigneur le Duc d’Anjou] §

Mercure galant, mars 1710 [tome 3], p. 167-179.

Je ne dois pas oublier à vous parler d’une Fête qui a esté faite à l’occasion de la naissance de Monseigneur le Duc d’Anjou, & dans laquelle vous trouverez des particularitez tres-singulieres, & sur tout la maniere de mettre le feu au Bucher, qui est aussi nouvelle que galante, & qui n’a jamais esté imaginée par personne. Je passe au sujet & au détail de cette Fête.

À peine la nouvelle de la Naissance de Monseigneur le Duc d’Anjou fut-elle répanduë à Chasteau-Gontier, dans la Province d’Anjou, que Mr de Fleurance, Ecuyer de Madame la Duchesse de Bourgogne, dont le zele avoit déja paru en 1704. & 1707. à l’occasion de la Naissance de Messeigneurs les Ducs de Bretagne, forma le dessein de témoigner sa joye par des réjoüissances publiques. Il donna le deux de ce mois à Chasteau-Gontier, une Feste qui a passé pour une des plus galantes & une des mieux ordonnées qu’on en ait veu depuis long-temps dans cette Province. Elle commança à deux heures aprés midy par une décharge generale des Canons du Chasteau ; sur les trois heures toute la Bourgeoisie sous les armes se rendit sur la grande Place, ayant les Tambours de la Ville à sa teste ; cette Bourgeoisie composée de la plus belle jeunesse, estoit partagée en six Compagnies de jeunes hommes des mieux faits & des mieux vêtus, tous parez de nœuds d’Epée, avec des Chapeaux bordez & des cocardes de ruban d’or ou d’argent. Mr Cueillard leur Colonel se mit à leur teste ; ils allerent tous en tres-bel ordre prendre Mr de Fleurance pour venir mettre le feu à un gros bucher orné de feüillages qu’on avoit preparé par son ordre sur la grande Place vis-à-vis de sa maison. Comme toutes les Dames de la Ville estoient assemblées chez luy ce jour là, il leur défera l’honneur d’allumer le feu, & pour ne pas mettre de division entre la Noblesse, & la Robbe, il choisit trois filles des principaux Officiers du Presidial, & trois filles de Gentilshommes. Ces six Demoiselles ayant choisi chacune un Cavalier pour leur donner la main marcherent avec tous les Hautbois & les Violons de la Ville, entre deux hayes d’Habitans sous les armes, jusqu’au lieu du bucher, où elles reçurent des mains de leurs Cavaliers chacune un flambeau allumé dont elles se servirent pour allumer le feu Mr le Comte de Brizay cy-devant Chevalier de Denonville Exempt des Gardes, & Mr de Flechecourt Ecuyer du Roy, & Capitaine de Cavalerie dans Tarente, s’estant trouvez sur les lieux furent invitez à cette réjoüissance, où Mr de Fleurance ayant fait apporter trois fusils, leur en fit presenter à chacun un, afin de partager avec eux l’honneur de la Fête. Ils tirérent tous trois ensemble les trois premiers coups en criant Vive le Roy. Les six Compagnies à qui on avoit distribué de la poudre avec profusion firent aussi-tost leur premiere décharge avec un pareil cry de Vive le Roy ; tous les Cavaliers & toutes les Dames qui estoient presentes danserent un moment autour du Bucher jusqu’à ce qu’il fust plus allumé, mais on fut obligé de quitter bientost la place & de se retirer. Chacun s’en retourna, & Mr de Fleurance demeura à la teste de la Bourgeoisie tant que le feu dura. Il luy fit faire plusieurs salves pour Monseigneur, pour Monseigneur le Duc de Bourgogne, pour Madame la Duchesse de Bourgogne, pour Monseigneur le Duc de Bretagne, pour Monseigneur le Duc d’Anjou & pour Monseigneur le Duc de Berry. Il tira à chaque décharge le premier coup. Aprés tout ce grand bruit de mousqueterie on tira un Feu d’Artifice, & on vit s’élever en l’air pendant une heure une infinité de fusées qui retombant sur elles-mêmes en pluye de feu, en petards, & en étoiles, formoient un spectacle des plus brillans. Sur les sept heures il y eut plusieurs tables de Jeu chez Mr de Fleurance, & à neuf heures on se mit à table pour souper. Il y avoit deux tables de douze couverts chacune ; on y servit abondament tout ce qu’on peut presenter de meilleur dans la saison. Les Pauvres ne furent pas oubliez dans ces réjoüissances ; l’Hôpital general se sentit de la Feste, & Mr de Fleurance fit part de sa joye à tous ceux à qui elle pouvoit estre utile ou agreable. Il fit mettre deux tables sur la Place publique à l’endroit où avoit esté le feu ; on servit à l’une un soupé pour les Tambours & les Trompettes, & à l’autre les Violons & les Haut-bois, mangerent & burent largement. Un peu avant le soupé on avoit illuminé depuis le bas jusqu’au haut toutes les fenestres du corps de logis, avec celles des deux ailes & des deux pavillons de la maison ; & comme elle est aisée à décorer de lumieres à cause de la beauté de son Architecture, rien ne pouvoit faire un plus bel effet que cette illumination qui dura presque toute la nuit. Les Balcons qui regnent aux deux côtez de la porte d’entrée depuis la Corniche jusqu’aux Pavillons, n’étoient pas moins éclairez. Il y avoit aussi plusieurs rangs de lumieres avec des Devises & des Inscriptions latines peintes sur des chassis huilez, qu’on lisoit de fort loin par le moyen des lampes qui estoient placées derriere. À dix heures & demie Mr de Fleurance commença le Bal avec Mlle sa sœur ; il s’y trouva une quantité si prodigieuse de monde, qu’on fut obligé de partager les Violons & les Hautbois dans les Appartemens, & de danser dans trois differentes Salles. Pendant que dura le Bal on servit à la Compagnie des rafraîchissemens, des bassins d’oranges, avec des confitures séches ; & sur les deux heures du matin on fut surpris agreablement quand on passa dans un grand Salon où il y avoit un Media noche, des mieux entendus. Le Bal recommença vers les trois heures pour danser les contredanses & dura jusqu’au jour. Tous ceux qui furent témoins de cette Feste, retournerent tres-contens de la maniere avec laquelle elle avoit esté executée, & de l’ordre qui y fut observé ; on n’attendoit rien moins d’un Officier qui est dans un poste aussi brillant & aussi honorable. Ceux qui connoissent Mr de Fleurance estoient bien persuadez qu’il ne manqueroit en rien pour se distinguer entre tous ceux qui ont donné des marques de leur joye pour des évenemens si heureux ; & si la Province le doit ceder en magnificence & en profusion à la Capitale du Royaume, elle a du moins l’avantage de pouvoir dire qu’il s’y trouve des sujets tres zelez pour la prosperité de l’Etat & pour la grandeur de la Maison Royale.

[Sonnets sur le sujet de cette naissance] §

Mercure galant, mars 1710 [tome 3], p. 180-189.

Je crois ne pouvoir mieux placer qu’aprés cette Feste, les trois Sonnets que vous allez lire. Ils ont esté faits par Mr de Messange, dont les Ouvrages ont toûjours eu le bonheur de vous plaire, & en ayant fait un chaque jour pendant trois jours, il les a presentez à Monseigneur le Duc de Bourgogne, à mesure qu’il les a composez.

SUR LA NAISSANCE DE MONSEIGNEUR LE DUC D’ANJOU.
SONNET.

O Lys, dont la gloire est si pure,
Astre terrestre & don des Cieux,
Tresor si cher à la nature,
Et si brillant à tous les yeux.
***
Quoy, dans une Saison si dure,
Vous renaissez si gracieux ;
Et d’une si riche parure
Vous venez embellir ces lieux !
***
Tiges toûjours incomparables,
Quels seront vos effets aimables
Dans un temps moins rempli d’horreurs ;
***
Si durant celuy de l’orage,
Nos heureux Champs ont l’avantage
De voir multiplier vos fleurs ?

SUR LE MESME SUJET.
SONNET.

De vostre Bras vengeur nous ressentons le pois,
Grand Dieu vous nous frappez de fleaux legitimes ;
Tout ce que nous donnoient vos bontez magnanimes,
S’est trouvé de nos mains enlevé par vos loix.
***
À peine vos rigueurs nous ont laissé la voix !
Mais loin d’envisager les excés de nos crimes,
Détournez vos regards sur les vertus sublimes,
Que pratique à vos yeux le plus sage des Rois.
***
Ha, Seigneur, vous daignez exaucer ma priere :
Je voi par son bonheur finir nostre misere :
Vôtre cœur appaisé donne un Prince à nos Lys :
***
De son Berceau naîtra la Paix & l’Abondance ;
Et par luy vous rendrez plus de biens à la France,
Que nos tristes forfaits ne nous en ont ravis.

SUR LE MESME SUJET.
SONNET.

Dieu, qui pendant que des 1 oiseaux
Elévent sur le sein des ondes inconstantes
Leurs tendres familles flottantes,
Deffendez que les vents ne combattent les eaux :
***
Daignez prendre des soins si beaux
Pour des Divinitez sur la terre naissantes,
Qui sont vos images vivantes ;
Et ne refusez pas le calme à leurs Berceaux.
***
Vous leur devez vostre assistance ;
De l’Aîné de l’Eglise ils tirent leur naissance :
Contre eux & contre luy l’Erreur lance ses traits.
***
Tranquilisez leur destinée ;
Et donnez une fois les douceurs de la Paix
À celuy, qui pour vous l’a tant de fois donnée.

Je vous envoye des Devises qui ont esté faites par Mr de Sarron, sur la naissance du même Prince.

Cum aurora nascens alter Dux Andegavensis
Matre pari auræ, syderis instar erit.
Un autre Duc d’Anjou naissant avec l’Aurore
D’une Mere qui n’a pas moins d’éclat,
Comme un Astre éminent doit briller dans l’Etat,
Et l’on verra bientost ses beaux rayons éclorre.
Hæc nova progenies flamma celebrata tonante,
Fulmine avi Gallum proteget Imperium.
Les Feux & les Canons annoncent la naissance,
D’un grand & nouveau Prince issu du Sang Royal.
Lançant la foudre un jour d’un Ayeul sans égal,
De l’Empire François il sera la deffense.
Tertius est natus quem edit Burgundica Princeps
Delphinum æquavit tres pariendo Duces.
Par ce troisiéme Fils une Auguste Duchesse
Egale la Dauphine en son enfantement,
Même fecondité de leur Hymen charmant,
De six Ducs, il en est trois de chaque Princesse.

[Mariage] §

Mercure galant, mars 1710 [tome 3], p. 189-200.

Le Carnaval a fini par un grand mariage dont la Ceremonie a esté faite à Conflans dans la Maison de Monsieur l’Archevesque, où Mr le Duc de Louvigny a épousé Mlle d’Humieres. Mr le Duc de Louvigny est fils de Mr le Duc de Guiche, & de N… de Noailles, fille aînée de feu Mr le Maréchal de ce nom, & niéce de Monsieur le Cardinal de Noailles. Mr le Duc de Guiche est fils de Mr le Duc de Gramont & de Marie-Charlotte de Castelnau, fille du feu Maréchal de Castelnau. Mr le Duc de Gramont est fils du feu Maréchal de Gramont, qui estoit fils d’une fille du Maréchal de Roquelaure, sœur du dernier Duc de Roquelaure, dont une autre sœur fut mere de Mr le Duc de Noailles, pere de feu Mr le Maréchal de Noailles, de Son Eminence, & de Mr le grand Bailly de Noailles Ambassadeur de Malte.

Mlle d’Humieres est fille de Mr le Duc d’Humieres, fils du second lit de feu Mr le Duc d’Aumont, & Me sa mere fille aînée de feuë Me la Maréchale de la Motte, & sœur de Mes les Duchesses de Ventadour & de la Ferté. Me la Duchesse d’Humieres est fille de feu Mr le Maréchal d’Humieres & de Me la Maréchale d’Humieres, de la Maison de la Chastre, Dame d’un grand merite & d’une vertu édifiante. Me la Princesse d’Isenghyen, & Me la Marquise de Surville, sont sœurs & aînées de Me la Duchesse d’Humieres, qui par son Mariage a donné ce Duché à Mr le Duc d’Humieres, frere de pere de Mr le Duc d’Aumont fils d’une fille de feu Mr le Chancelier le Tellier, & sœur de Mr de Louvois & de Mr l’Archevêque de Reims.

Ces jeunes Epoux ont tout l’esprit que l’on peut avoir à leur âge, & il est surprenant de voir le grand pere, le pere, & le petit-fils, Ducs en même temps.

Voicy une Epithalame faite à l’occasion de ce mariage, par le même Mr de Messange, qui a fait les trois Sonnets sur la Naissance de Monseigneur le Duc d’Anjou.

EPITHALAME.

On dit que de l’Amour l’Hymen est le tombeau
Que la premiere nuit en éteint le flambeau ;
Mais ces aimables lieux sont témoins du contraire
Et par les nœuds nouveaux qu’Hymen y vient de faire
On voit qu’ayant formé des Amours le plus beau
Loin d’estre son sepulcre, il en est le berceau.
***
À peine est-il produit cet Amour plein de charmes
Qu’il force une Beauté de luy rendre les armes.
Il n’est pour ses desirs ni dédains ni rigueurs ;
Il est né triomphant ; ses attraits sont vainqueurs.
Enfanté pour la joye & non pour la tristesse
Il se trouve en naissant Maître de sa Maîtresse,
Qui regnant sur son cœur comme luy sur le sien
Partage entre-elle & luy sous un commun lien,
Dans de si doux transports qu’on ne peut les décrire
Et le sceptre & le joug d’un mutuel Empire.
Amour dont les desseins avouez de Themis
Et louez des mortels ont les Dieux pour amis
Vous valez beaucoup mieux que celuy que nous donne
Contre leurs saintes loix la fille de Dione,
Qui n’offrant à nos yeux qu’attraits & voluptez
N’a pour nos cœurs seduits qu’outrages, cruautez,
Ennuis, chagrins, langueurs, dépits, soupçons, allarmes,
Trahisons, desespoirs, & longs torrens de larmes.
L’Amour de qui l’Hymen a fait naistre les feux
Est sage, pacifique, égal & genereux :
Son grand cœur est rempli de sentimens fideles ;
Les Nymphes en naissant luy couperent les ailes
Et pour luy laisser faire un choix delicieux
Ne luy mirent jamais de bandeau sur les yeux ;
Le Ciel arma son bras d’un Arc inalterable
Rendant pour s’en servir son bras infatigable ;
Sa main porte un flambeau capable d’enflamer ;
Mais non pas d’ébloüir le cœur qu’il fait aimer.
Son Carquois soutenu des mains de la fortune
Entre cent fléches d’or, de plomb n’en a pas une.
Les Ris & les Plaisirs folâtrent sur ses pas,
Les Graces l’ont orné de leurs plus doux appas :
Sans cesse autour de luy volent les complaisances,
Les jeux, les tendres soins, & les réjoüissances.
Hymen, charmant Hymen, daigne pour ton honneur
Conserver un Amour qui te fait tant d’honneur.
Jeunesse en qui nature a mis ses dons aimables
Ne recevez jamais que des amours semblables.
Ils sont rares, ce Dieu n’en forme pas toûjours ;
Tâchez d’en obtenir pour avoir de beaux jours.
Heureux qui peut trouver dans ses illustres Peres
Des Noms tels que Gramont,
Noailles & d’Humieres,
Des Noms que la vertu sçait immortaliser,
Des Noms à qui le Ciel ne peut rien refuser !
Heureux qui de Christine éprouvant la tendresse
A pû de ses leçons concevoir la richesse,
Et des foibles mortels connoissant les besoins
Faire un sage profit de ses habiles soins.
Heureuse qui pourra de cette ame si belle
Avoir l’ame pour guide & le cœur pour modele ;
Mais laissons ces discours pour une autre saison,
On aura tout le temps d’écouter leur raison :
Aussi bien, dévouez à de plus doux mysteres,
Aujourd’huy nos Amans ont bien d’autres affaires.

Air nouveau §

Mercure galant, mars 1710 [tome 3], p. 200-201.

Comme la joye convient aux mariages, & les chansons à la joye, j’ay crû devoir placer icy l’Air suivant.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Plus le Char du Soleil, doit regarder la page 200.
Plus le Char du Soleil s’empresse
À remonter sur l’horison
Plus il avance une Saison
Qui force tout Guerrier à laisser sa Maistresse
Et son Cellier à l’abandon.
***
La Gloire n’est qu’une manie
Qu’on n’avoit pas au siecle d’or,
Vivons l’âge du bon Nestor,
La mort la plus illustre fut l’insigne folie
D’un Guerrier qui vivroit encor.

Ces paroles sont de Mr d’Aubicourt dont vous admirez souvent l’esprit galant & enjoüé ; & l’Air de Mr de Villeneuve.

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[Article du Testament de Mr l’Archevêque de Reims, par lequel il donne sa Bibliotheque à l’Abbaye de Sainte Geneviève] §

Mercure galant, mars 1710 [tome 3], p. 202-207.

Je passe à un Article bien different de ceux que vous venez de lire. Je vous ay dit le mois passé que feu Mr l’Archevêque de Reims avoit laissé sa belle & nombreuse Bibliotheque à l’Abbaye de Sainte Geneviéve ; voicy à cet égard l’article de son Testament olographe, datté de Paris du 5. Novembre 1709. par lequel il dispose de ce riche depost.

Ma premiere intention estoit de donner à mon neveu l’Abbé de Louvois ma Bibliotheque, mais reflexion faite j’ay cru qu’elle luy seroit inutile & même à charge à cause de l’honneur qu’il a d’estre Bibliothecaire du Roy ; ce Recüeil de Livres est grand & tres-curieux ; je l’ay fait avec beaucoup de dépense & de plaisir, car je n’ay pas cessé d’en acheter pendant prés de cinquante ans ; ce seroit grand dommage que ces Livres fussent dissipez, comme il est indubitable qu’ils le seroient aprés ma mort, c’est ce qui m’a persuadé que je les devois donner à une Communauté capable de s’en servir, & d’en aider le public & de les bien conserver.

Je les donne donc & je les legue à la Maison des Religieux de l’Abbaye de Sainte Geneviéve au Mont de cette Ville, Chanoines Reguliers de Saint Augustin de la Congregation de France ; j’estime cette Congregation autant qu’elle merite de l’estre, & je suis bien aise de luy donner cette marque de l’amitié que j’ay pour elle & pour le Pere Polinier presentement son tres-digne General ; je prie ledit Pere Polinier & le Pere de Riberolles actuellement Prieur de ladite Abbaye de Sainte Geneviéve, ou ceux qui leur succederont dans ces Emplois, de faire mettre immediatement aprés mon decés, tous les Livres de madite Bibliotheque tous ensemble dans la seconde partie de leur Bibliotheque dont toutes les tablettes & la menuisierie ont esté faites par les soins du Pere Polinier dans le dernier Triennal, pendant lequel il a esté Prieur de ladite Abbaye.

Je prie celuy qui sera Abbé lors de mon decés de faire prier Dieu dans toute la Congregation pour le repos de mon ame.

Je donne le Buste de marbre de feu Monsieur le Chancelier mon pere, avec son scabellon ausdits Religieux de Sainte Geneviéve pour estre par eux placé dans le même lieu où je viens de dire que je desire que tous mes Livres soient mis.

Les Chanoines Reguliers furent informez du beau present que leur faisoit Monsieur l’Archevêque de Reims, presque en même temps qu’ils apprirent sa mort ; aussi tost l’Abbé & Superieur General, pour marquer sa reconnoissance envoya des Billets imprimez par toutes les Maisons de sa Congregation, avec ordre de faire des Services pour le repos de l’ame du deffunt.

Il en fit faire un tres-solemnel dans l’Eglise de son Abbaïe le Mardy 19. Mars toute la famille & les personnes les plus considerables de la Cour & de la Ville, & toute l’Assemblée du Clergé y avoient esté invitez, les Chanoines Reguliers chanterent la veille au soir tout le grand Office des Morts, & le lendemain l’Abbé celebra Pontificalement la Messe.

[Cloche baptisée à Rennes, & tenuë par Mr le Maréchal de Chasteau-renault, & par Me de Brillac, premiere presidente du Parlement] §

Mercure galant, mars 1710 [tome 3], p. 207-214.

Je passe d’une Ceremonie qui se vient de faire à Paris, à une autre qui s’est faite dans l’Eglise des grands Carmes de de Rennes, où Mr Enon, grand Vicaire de Mr l’Evêque de Rennes, a baptisé une Cloche qui a esté tenuë par Mr le Maréchal de Chasteaurenault, & par Me de Brillac, premiere Presidente du Parlement. Ils furent reçus à la porte de l’Eglise au bruit des Tambours & des Trompettes, & le Pere Superieur leur fit le Compliment suivant.

MONSEIGNEUR,

Qu’il est édifiant de voir un des plus illustres Heros du Royaume, aprés avoir soutenu par sa valeur la gloire de son Prince, venir au pieds des saints Autels prester son nom, ses armes, & sa personne, pour concourir à la gloire de son Dieu.

Que cent fois le Bronze foudroyant ait fait ployer sous la force de vostre bras vainqueur, l’Affrique, l’Amerique, l’Angleterre, & la Hollande.

Qu’on vous ait vû abbattre la fierté barbare de ce fameux Mouley Ismaël Empereur de Maroc & de Salé ; enlever ses Corsaires & le forcer d’envoyer ses Ambassadeurs rendre hommage à la Souveraine puissance de nostre grand Monarque.

Qu’animé d’une prudence Martiale vous ayez trouvé le secret de faire à Vigo par une veritable justice ce qui se lit dans une Satyre de nos jours, où l’on voit l’avidité de la Justice, qui avala l’huistre & ne laissa aux concurrens que des écailles. Que vous ayez, dis-je, Monseigneur, enlevé les millions d’or & d’argent, que vous aviez heureusement conduits au Port, & que vous n’ayés laissé à nos ennemis que les cocques & les écailles dont ils firent un feu de fureur & de desespoir, tandis que nous faisions un feu de joye, de voir que vous leurs aviez enlevé cette huistre précieuse qu’ils recherchoient avec avidité.

Qu’enfin tous nos ennemis ayent dit de Vostre Grandeur ce que par une conjoncture assez heureuse les Peuples disent de Jesus-Christ dans l’Evangile d’aujourd’huy : Qualis est hic quia Venti & Mare obediunt ei : qui est donc celuy à qui les vents & les flots de la mer obéïssent.

Pour nous, Monseigneur, nous admirerons aujourd’huy vostre pieté, vous voyant donner vostre Nom à ce Bronze consacré qui portera sans doute l’éclat de vos vertus jusques dans les Cieux, aprés que par tant d’actions heroïques vous avez répandu le bruit de vostre valeur par toute la terre.

Et pour vous, Madame, il ne nous est point étranger de vous voir aux pieds des saints Autels, & à la teste des œuvres de pieté brillante par tant d’éminantes qualitez d’esprit & de corps, encore plus brillante par la solidité de vostre vertu, vous vous conciliez tous les esprits, & vous engagez tous les cœurs ; aussi n’appartenoit-il qu’à vous, Madame, de fixer toutes les attentions d’une des premieres testes du Royaume ; la superiorité de son genie, & la finesse de son goust justifie sans doute l’éminance de vostre merite.

Que nous sommes heureux, Madame, qu’avec tant d’élevation vous daigniez vous abaisser jusqu’à nous, & ne pas refuser vostre nom ny vos armes à ce Bronze consacré, qui ne nous frapera jamais les oreilles sans rappeller nos obligations, & nous engager à former des vœux au Ciel pour vostre conservation à de longues & d’heureuses années.

La Ceremonie estant finie, le Parain, & la Maraine, firent de grandes Aumônes aux Pauvres, & donnerent au Convent des marques de leurs liberalitez.

[Offre faite au Roy, par les Secretaires Auditeurs de la Chambre des Comptes de la même Ville] §

Mercure galant, mars 1710 [tome 3], p. 214-216.

Je dois ajouter icy un Article qui regarde encore la Bretagne. Mrs de la Chambre des Comptes, aprés avoir tout mis en usage pour franchir leur droit annuel, estant des Officiers du Royaume des plus attachez à Sa Majesté ; Aprés avoir assisté au Te Deum, qui fut chanté pour l’heureuse naissance de Monseigneur le Duc d’Anjou, les Secretaires Auditeurs de la Chambre estant assemblez délibererent d’offrir au Roy quinze mille livres chacun pour obtenir le Titre de Maître des Comptes, & de donner pareille somme à chacun des Maistres ordinaires pour les indemniser de cette Promotion.

Vous voyez le zele de ces fidelles Sujets, qui à l’exemple de la Capitale du Royaume, & sur tout des Cours Superieures, n’oublient rien pour secourir le Roy dans les pressans besoins de l’Etat, & sur tout pour le rachapt de la Polette, cette affaire estant déja fort avancée, plusieurs portant tous les jours leur argent ; de maniere qu’elle aura bien-tost tout l’effet que Sa Majesté en peut souhaiter.

Epitaphe de Messire Esprit Flechier, evesque de Nismes §

Mercure galant, mars 1710 [tome 3], p. 263-267.

En vous parlant de morts, je dois vous parler de l’Epitaphe d’un Prelat qui auroit dû estre immortel, sa vie estant fort necessaire au salut des ames ausquelles il a contribué jusqu’à son dernier soupir. Cette Epitaphe est de Mr l’Abbé Plomet, que Mr l’Evêque de Nismes avoit honoré de son estime.

EPITAPHE DE MESSIRE ESPRIT FLECHIER, EVESQUE DE NISMES.

Ci gist un Esprit, Qui surprit
L’Univers par son Eloquence :
Sçavant : on le vit à la Cour
Briller comme l’Astre du jour,
Prêchant aux Rois la Penitence.
***
Poli, ses Ouvrages divers,
Soit dans la Prose, ou dans les Vers,
Ont éternisé sa Gloire,
Immortalisé sa Memoire.
***
Zelé comme un Aron, dans ses brûlans transports,
Il presentoit au Ciel les vivans & les morts.
***
Prudent comme Moyse,
Quels Portraits enchantez de la Terre promise
Ne fit-il pas, pour se gagner le cœur
Du Mondain corrompu, du rebelle Pécheur ?
***
Tantost comme Jonas, il menaçoit en Chaire ;
Souvent en Jeremie, il pleuroit la misere
Des Riches obstinez,
Des Chrestiens fascinez.
***
Humble, Simple, Pieux, Bienfaisant, Charitable,
Aux Grands comme aux Petits il parut respectable :
Et dans l’Episcopat en Charles transformé,
Il finit ses beaux jours, en vertus consommé.

La mort de cet Evêque a laissé une place vacante à l’Academie Françoise qu’il sera difficile de remplir d’un aussi bon sujet, & d’un homme aussi universel.

[Reception de Mr le President de Mesmes, à l’Academie Françoise] §

Mercure galant, mars 1710 [tome 3], p. 267-268.

En attendant que je puisse vous parler de celuy sur lequel l’Academie aura jetté les yeux, je dois vous dire que Mr le President de Mesmes, qui avoit esté nommé pour remplir celle de Mr le Comte de Crecy y vient d’estre reçû ; mais comme il faut du temps pour vous faire un fidele portrait de ce qui s’est passé à cette reception j’ay cru devoir remettre au mois prochain à vous en entretenir. Vous ne perdrez rien pour attendre, & je suis persuadé que vostre curiosité sera satisfaite.

[Prise de Possession de l’Abbaye de S. Pierre de Lyon, par Me de Brissac] §

Mercure galant, mars 1710 [tome 3], p. 290-298.

Le Jeudy 27. Février Me l’Abbesse de S. Pierre de Lyon, sœur de feu Mr le Duc de Brissac & tante de celuy qui porte aujourd’huy cette qualité, prit possession de son Abbaye ; elle avoit reçu quelque jours auparavant ses Bulles qui avoient esté adressées à Mr l’Abbé Terrasson Official de Lyon, & second Custode de l’Eglise Paroissiale de Sainte Croix de la même Ville. La Ceremonie se fit l’aprés-dînée. Mr le Comte de Saint Georges Precenteur de l’Eglise de Lyon, & neveu de Mr l’Archevêque, alla prendre Me l’Abbesse dans son appartement & la conduisit au Chapitre où toutes les Religieuses estoient assemblées. Mr l’Official y prononça un Discours tres-éloquent sur le sujet de cette Ceremonie, & sur l’honneur qu’il avoit en ce jour de mettre en possession une Abbesse d’un nom si illustre, & dont le merite estoit si universellement connu. Toute la Communauté sortit en Procession du Chapitre, la Croix estant à la teste, & Me l’Abbesse terminoit ce Cortege, precedée de tous ses Officiers & de tout son Clergé, conduite par Mr de S. Georges, & ayant à sa droite Mr l’Official, & accompagnée de toute sa livrée ; en cet estat elle fit le tour du Cloistre, la Communauté chantant des Répons. La Procession fit le tour sur les Terreaux, & entra par la grande porte de l’Eglise Paroissiale de Saint Pierre, dont Me l’Abbesse prit possession. De retour en son appartement elle fit servir une magnifique collation aux Messieurs & aux Dames qui avoient assisté à cette Ceremonie & à ceux qui estoient entrez en cette Maison, dont les portes furent ouvertes pendant tout le jour à ceux qui eurent la curiosité de voir une des plus belles Maisons Religieuses du Royaume. On tira quantité de fusées & plusieurs boëttes dehors & dedans le Convent devant & aprés la Ceremonie ; il y eut le soir de grandes illuminations, des fanfares, & un concert de Trompettes, Hautbois & autres Instrumens qui servent à rendre une Ceremonie plus pompeuse. Le Lundy 17. Mars suivant Mr l’Archevêque de Lyon benit la même Abbesse dans l’Eglise de Saint Pierre qui estoit magnifiquement ornée de tentures de velours cramoisi violet, avec quantité de festons chargez d’écussons aux Armes de la Maison de Cossé, de même que l’Autel, où l’on voyoit aussi les Armes de Mr l’Archevêque. Ce Prelat celebra une grande Messe qui fut chantée par les Religieuses. Il avoit pour Diacre & Sous-Diacre, Mr le Comte d’Albon Archidiacre de Lyon, & Mr le Comte de Chantelau-la-Chaise, & chacun de ces deux Messieurs estoit accompagné de huit Ministres inferieurs, c’est-à-dire, de quatre autres Diacres & de quatre Soûdiacres. Mr le Comte de Genitines frere aîné de Mr l’Evêque de Limoges & grand Custode de l’Eglise de S. Jean, & Mr le Comte de Chemé la-Valette neveu de Mr l’Archevêque & son grand Prestre, accompagnez de Mrs Terrasson, & Chazeneuve Chevaliers de Saint Jean, estoient les quatre Chapitres. Il y avoit plusieurs autres Ministres inferieurs. L’Abbesse qu’on alloit benir estoit accompagnée de Me de Rostaing Abbesse de Chazaut, & de Me de Châtillon Abbesse de la Deserte (ces deux Abbayes sont situées dans la Ville de Lyon) & de quantité de Religieuses qui avoient accompagné ces deux Abbesses. Mrs les Comtes de Saint Jean y vinrent en Corps, de même que Mrs du Consulat. Mr Trudaine alors Intendant de Lyon, & Mr le Prince d’Harcourt y assisterent. Mr de Pompone, ci-devant Ambassadeur de Venise, qui estoit à Lyon depuis quelques jours, y assista, mais incognito, de même que Me la Comtesse de Soissons, qui fait son séjour dans cette Abbaye. Cette Ceremonie une des plus brillantes qu’on ait vûës depuis long-temps, fut suivie d’un magnifique repas que l’Abbesse nouvellement benite donna à cet illustre Clergé. Rien de ce que la Saison peut fournir de plus délicat & de plus délicieux n’y fut oublié. On y admira une profusion de toutes choses, mais bien entenduë. Le Dessert sur tout fut magnifique. Aprés le dîner on ouvrit les portes du Convent à tous ceux qui voulurent y entrer.

[Article des Enigmes] §

Mercure galant, mars 1710 [tome 3], p. 344-349.

Le mot de l’Enigme du mois dernier estoit le Souflet. Ceux qui l’ont trouvé sont le Pere Agatange, des grands Augustins ; Mrs l’Abbé Grâvelle ; de la Tonnelaye, du Faux bourg S. Germain ; de l’Ormeau du même Fauxbourg ; de Roüillac : de Gastinay, de la ruë S. Martin ; le petit Brunet, de la ruë S. Honoré ; de Bierne le cadet, ruë des Prouvaires ; Charles Thirou, du College Mazarin ; le petit Toury, de la Porte S. Bernard ; le Mary sans Femme ; les deux Amans rivaux de Mlle M. … du Quay des Augustins ; l’heureux Blondin, de l’Hôtel des Ursins ; l’Amant favorisé, du même quartier ; le Soupirant pour Mlle Lap… le Berger Tircis de la Bergere Climene ; le grand Chantre & sa Linotte, du quartier S. Jacques ; le Nouvelliste obstiné, du quartier du Palais Royal ; le Pacifique des Tuileries ; le Politique du même Jardin ; le beau Tircis, & l’Enfant gasté du Marais ; l’Amant de Themis, du même quartier : le Marchand à bonne Fortune, de la rue S. Denis : la belle Societé de la même rue : & l’Amy de Mlle B… Mlles de Rezé, proche la Comedie : Mercier, du Quay des Augustins : Bouthillier : Moysette : Huslin : le Duc : de Valange, la fille : la jeune & charmante Caron, prés S. Jullien : Marie-Anne, du Cloistre S. Thomas du Louvre : Anne Jollain, & sa charmante voisine le Gent : la Spirituelle & la Gracieuse, de la rue des Marmousets : la future Marquise, du même quartier : la Confidence mutuelle & la Societé broüillée, du quartier de la Madelaine : la jeune Muse renaissante G.O. la Blanche & Brune de la ruë des Bernardins : la Mere déposée, & la Sœur prude, de la Societé de Caen : la grosse Cato, de la Porte S. Bernard : l’Hostesse de la belle Allegresse, rue Medem : & la Bergere Climene.

Je vous envoye une Enigme nouvelle, elle est du Pere Agatange.

ENIGME.

L’on me voit aisément & mon estre est sensible,
Mais pour me bien comprendre & sçavoir qui je suis,
La chose est mal aisée, & paroist impossible,
C’est où demeurent court les plus rares esprits.
Sans me diminuer l’on prend de ma substance,
Que je donne à chacun pour estre en sûreté,
Et quoique j’en fournisse à tous en abondance,
J’en ay toûjours chez moy la même quantité.
Je me donne sans poids, sans nombre, & sans mesure,
Et depuis le Berger jusques au plus grand Roy,
Il n’est petit ny grand dans toute la nature,
Qui n’implore mon aide, & n’ait besoin de moy.
Tout le monde s’en sert, & tous à la même heure,
Rien de plus merveilleux, quoy que de plus commun,
L’on me porte par tout de demeure en demeure,
Et si tost qu’on me voit j’ébloüis un chacun.

Air nouveau §

Mercure galant, mars 1710 [tome 3], p. 349-350.

L’Air qui suit est de Monsieur Charles.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, On n’entend plus aux Champs, doit regarder la page 350.
On n’entend plus aux Champs
Le doux bruit des Musettes ;
Les Tambours, les Trompettes
Sont les seuls Instrumens
Qui regnent en ce temps.
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