1710

Mercure galant, avril 1710 [tome 4].

2017
Source : Mercure galant, avril 1710 [tome 4].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, avril 1710 [tome 4]. §

[Discours du President de Mesmes lors de sa reception à l’Academie Françoise]* §

Mercure galant, avril 1710 [tome 4], p. 8-9.

Je crois devoir ajoûter icy ce que Mr le President de Mesmes dit en parlant du Roy le jour de sa reception à l’Academie Françoise. Tel que nous avons vû le Roy dans la prosperité de ses Armes toûjours victorieuses sous sa conduite, tel nous le voyons aujourd’huy, que tant de Nations jalouses de sa gloire se sont réünies contre luy, & que les Saisons mesme ont semblé se soûlever contre l’Empire François ; qu’aurois-je dit qui ne soit de beaucoup inferieur à la grandeur & à la noblesse de son caractere ?

Il sçait ce Prince aussi distingué par sa pieté que par la prééminence de sa Couronne, que les bons & les mauvais succés viennent tous de la main du Maistre des Rois ; & c’est de là qu’il tire ce constant amour pour la Religion & pour la saine Doctrine ; ce fonds inépuisable de ressources dans les temps les plus difficiles, cette inébranlable fermeté d’ame, cette force d’esprit toûjours superieure à l’inconstance & aux caprices de la Fortune.

[Suite du premier Article des morts parmy lesquels il s’en trouve d’étrangeres assez curieuses] §

Mercure galant, avril 1710 [tome 4], p. 16-32.

Dame N… de Seve veuve de Mre N… de Vidaud Seigneur de la Tour & Procureur General au Parlement de Grenoble, est morte âgée d’environ quatre vingts ans. Elle estoit sœur de feu Mr de Seve, Seigneur de Flecheres, Lieutenant general au Presidial de Lyon, & fille de Mr de Flecheres qui avoit eu le même Employ, & de Dame N… du Gué-Bagnols Conseiller d’Etat, dont je vous ay appris la mort. Ainsi cette Dame estoit sa cousine germaine, de même que feu Mr du Gué Intendant de Lyon. Elle étoit tante de Mr de Flecheres aujourd’huy Lieutenant general du Presidial de la même Ville, & premier President de la Cour des Monnoyes, & un des plus habiles Magistrats du Royaume. L’ancienneté & l’illustration de la Maison de Seve sont connuës. Il y en a une branche établie à Paris depuis long-temps. Mr l’Evêque d’Arras & Mr l’Abbé d’Izy sont à present les Chefs de cette branche. Feu Mr de Seve Premier President & Intendant de Mets, estoit frere de ce Prelat, & Mr de Seve leur pere Prevost des Marchands de la Ville de Paris avoit épousé une heritiere de la Maison de Rochechoüart, dont Mr l’Evêque d’Arras porte même aujourd’huy le nom & les armes. Mr de la Tour-Vidaud époux de la Dame dont je vous apprens la mort, avoit esté long-temps Procureur du Roy au Presidial de Lyon avant d’estre Procureur General au Parlement de Grenoble. C’estoit en ce temps là une tres-belle Charge, parce qu’il estoit alors Procureur du Roy de la Conservation, dont la Jurisdiction qui regarde les affaires des Marchands, s’étend dans tout le Royaume. Mr de la Tour-Vidaud a eu de cette Dame, Mr de la Tour-Vidaud aujourd’huy Procureur General au Parlement de Grenoble & qui a épousé Mlle de Simianes, ci-devant Fille-d’Honneur de S.A.R. Madame, & sœur de Mr le Marquis de Simianes Colonel de Cavalerie ; il a eu aussi Me de Seve épouse de Mr de Seve President à Mortier au Parlement de Grenoble, & dont le fils a la même Charge.

Le fameux Jacques Aymar dont on a tant parlé il y a quelque années au sujet de la Baguette, est mort depuis quelque temps à Saint Verant, Village du Dauphiné, où il estoit né. La vie de cet homme a esté si extraordinaire & si remplie d’événemens singuliers que j’ay crû que sa mort ne paroîtroit pas tout-à fait indifferente. Il cachoit sous un exterieur extrêmement simple & même un peu grossier, un esprit fort délié & fort propre à conduire délicatement une ruse : Il parloit avec simplicité & cachoit autant qu’il pouvoit l’art dont son esprit étoit plein ; mais les connoisseurs jugeoient en l’examinant de prés, qu’il avoit beaucoup plus d’esprit qu’il n’en laissoit voir. Il fit un des premiers essais des vertus de sa baguette par occasion dans un Village à demi lieuë de celuy où il demeuroit. Il y avoit esté appellé pour chercher des sources, & avant le dîner estant sorti en tenant sa Baguette, il fut surpris de ce qu’elle tournoit avec un mouvement extrêmement violent. Il crut qu’il y avoit en cet endroit-là des sources, selon ce qu’il a dit plusieurs fois à Mr le Procureur general du Parlement de Grenoble qui l’aimoit beaucoup, mais on fut bien surpris de trouver à deux ou trois pieds en terre le cadavre d’un homme qui avoit esté sans doute assassiné quelques années auparavant. Feu Mr Garnier Medecin de Lyon a écrit touchant les avantures de Jacques Aymar, qui est mort âgé d’environ 60. ans.

Vous trouverez beaucoup de faits curieux dans les deux Articles suivans.

Mr Gallé, homme d’une grande réputation, est mort en Hollande regretté de tous les Sçavans & de tous ceux qui avoient quelques relations avec luy. Il a fini ses jours à Campen, & il a travaillé jusqu’au dernier moment de sa vie. On a de ce sçavant homme un grand ouvrage sur les Livres Sibyllins, où il a ramassé tout ce qu’on peut dire de plus fort sur cette matiere ; & il est peu d’Autheurs qui ayent esté plus loin dans ces sortes de recherches. On trouve dans cet ouvrage une critique exacte & judicieuse, un goust sûr pour juger des écrits des anciens Auteurs & une connoissance parfaite de l’Antiquité la plus éloignée. Mr Gallé avoit commencé un peu avant sa mort une nouvelle édition de Minutius Felix, cet habile Apologiste de la Religion Chrestienne, & il en avoit aussi presque achevé une de Lactance de qui nous avons un si beau Traité De morte persecutorum, c’est-à-dire de la mort des Persecuteurs ; mais la mort l’ayant empêché de mettre la derniere main à cet ouvrage, il a laissé le soin du dernier à un de ses Amis de Campen. Il estoit tres-versé dans la lecture des anciens Peres, & il s’estoit fait toute sa vie une habitude d’en penetrer le sens & d’entrer dans l’esprit de ces saints Auteurs en lisant leurs ouvrages. S’il avoit vécu encore quelques années, il auroit donné de pretieux vestiges d’Antiquité, & il s’estoit fait sur cela un plan d’étude qui auroit esté bien utile au Public.

Mr Mevius Jurisconsulte, Conseiller Privé du Roy de Suede, & Vice-President du Conseil Souverain de Wismar, est mort. Ce grand Magistrat s’est rendu celebre par sa Jurisprudence universelle & commune des gens. Le Roy de Suede Charles X. l’envoya à Vienne en 1661. pour vuider les differends que la Suede avoir avec la Cour Imperiale touchant l’Investiture des Provinces Suedoises en Allemagne, qui avoient esté cedées à cette Couronne par la Paix de Westphalie de plein droit en Fiefs perpetuels immediats de l’Empire ; il fit sur cela un Traité qui parut en 1662. à Stralzund. Il fut Arbitre nommé par la Suede, & Mr Courtin le fut par la France pour terminer à l’amiable les differends qui s’éleverent au sujet de quelques droits il y a quelques années, entre Mr le Prince Palatin d’une part, Mr l’Electeur de Mayence comme Evêque de Wormes & de Wirtzbourg, Mr l’Electeur de Baviere, & quelques autres Princes. Mr Mevius publia les Actes de cette Conference & la Sentence arbitrale. Il fut employé il y a quelques années à faire tout le Reglement des Provinces Suedoises en Allemagne. Ses Commentaires sur le droit de Lubec ont eu un si grand succés qu’ils ont esté réimprimez sept ou huit fois. Les Prolegomenes qui sont au-devant de l’ouvrage en dix questions traitées à fond, sont excellens. On a fait huit éditions de ses Decisions qui sont autant de choses jugées & qui sont au nombre de 3410. divisées en neuf parties. On les cite de même que ses Commentaires dans les plus celebres Tribunaux. Quelques Jurisconsultes de Leipsic les ont redigées en ordre selon les livres & les titres des Pandectes. Un Jurisconsulte de Mayence a mis les mêmes Decisions par ordre des Titre du Code, à l’imitation du Code d’Antoine Faure. Mr Struvius le fils dans sa Bibliotheque choisie de Droit, les loüe beaucoup. Nous avons du même Mr Mevius un Traité de l’Amnistie, un autre des Voyes d’Arrest tant sur les personnes que sur les biens. Un Traité sur les moyens de soulager les Debiteurs ruinez par les calamitez de la guerre ou par d’autres malheurs ; une dispute fort ample de Metatis & Epidemiticis ; un Traité de Pensionariis, & divers Traitez en Langue Allemande. On a imprimé aussi ses Conseils ou Deliberations où regne par tout un solide jugement. Mr Mevius aprés avoir achevé son ouvrage de la Jurisprudence universelle & continuant à lire quantité d’Auteurs graves tant anciens que modernes, en avoit extrait quelques passages tres-importans qu’il vouloit inserer en leur place dans son ouvrage, mais la mort l’ayant prevenu, Mr d’Engelbrechten son gendre, Conseiller d’Etat & Vice-Directeur des Cours de Justice du Roy de Suede aux Duchez de Breme & de Vorde, a executé ses intentions. Mr d’Engelbrechten est un homme d’un merite extraordinaire & d’une profonde érudition, & il a ajoûté à cet ouvrage un Indice tres-ample & tres-exact des matieres, ce qui rend le Livre tres-utile. Mr Mevius a été fort loüé par Mr Hertzius Professeur de Jurisprudence à Giessen, dans sa Dissertation de la Jurisprudence universelle.

[Jubilé de l’Université de Leipsick. Les Sçavans se souviennent qu’on doit à cette Ville-là, l’origine du Journal des Sçavans] §

Mercure galant, avril 1710 [tome 4], p. 32-36.

Comme vous souhaitez d’apprendre ce qui se passe de plus curieux dans les Pays étrangers, je crois que l’Article suivant vous fera d’autant plus de plaisir qu’il n’y a personne qui n’entende souvent parler de la fameuse Foire de Leipsick, & que l’on parle par toute la terre du fameux Journal des Sçavans qui se fait dans la même Ville.

On celebra avec de grandes magnificences à Leipsick au commencement du mois de Decembre dernier le Jubilé de l’Université de cette Ville là, je veux dire la revolution du centenaire depuis son établissement. Le Mercredy 4. du même mois l’ouverture s’en fit par un Te Deum que l’on chanta en Musique dans l’Eglise de Saint Nicolas, au bruit d’une triple décharge du canon. On fit ensuite diverses autres réjoüissances dans lesquelles on mêla plusieurs discours d’éloquence sur ce sujet. On y parla presque dans tous, mais d’une maniere diversifiée des grands Hommes que cette Université a produits depuis son établissement. L’éloge de Mrs de Leibnits qui se sont immortalisez par tant de doctes écrits sortis de leurs plumes, ne fut pas oublié. Celuy des premiers Auteurs du celebre Journal de Leipsick, que l’on continuë avec beaucoup de succés depuis l’année 1682. fut aussi traité avec toute la delicatesse que meritoit ce sujet. Mr Menkenius qui y travaille à present y fut loüé d’une maniere d’autant plus delicate qu’il n’en coûta rien à sa modestie, puisqu’il n’y fut pas nommé. Plusieurs Princes d’Allemagne, venus à la celebre Foire de Leipsick, furent de cette Feste & se trouverent à ces Discours dont les Auteurs leur adresserent des complimens où l’on remarqua beaucoup de justesse accompagnée d’une grande delicatesse. Le soir même de l’ouverture de la ceremonie, il y eut un grand repas où l’on compta cent-cinquante personnes de distinction qui y avoient esté invitées. Il y eut une si grande profusion de viandes que l’on vit dans les cuisines trois bœufs entiers à la broche. Par ces trois seules pieces on peut juger de tout le reste. On écrit que du seul vin du Rhin on y en but vingt-cinq pieces. Cette Feste dura trois jours entiers, & chaque jour fut marqué par de nouveaux plaisirs. Enfin les plus âgez de Leipsick avoüérent que depuis long-temps on n’avoit vû un si grand mouvement de plaisirs dans leur Ville.

[Articles contenant plusieurs curiositez qui peuvent instruire le Public & luy faire plaisir] §

Mercure galant, avril 1710 [tome 4], p. 57-76.

Je passe d’un Article de Religion, à des Articles de Curiosité.

Entre les Pierres gravées antiques qui composent le Cabinet du Roy, le plus riche & le plus precieux qui soit dans l’Europe, il y en a une gravée en creux, & montée en bague, qui est un chef-d’œuvre de l’Art. C’est une petite Cornaline transparente qui a esté dessinée en grand par l’illustre Mlle le Hay, connuë sous le nom de Mlle Cheron, & gravée en Estampe par Mr Picard. On croit que cette Pierre a servy de Cachet à Michel Ange, & que Raphaël en a imité quelques figures dans ses tableaux. Elle a appartenu à Mr Bagarris, Garde du Cabinet d’Henry IV. ensuite à Mr Lothier, Antiquaire d’Aix en Provence, & Sa Majesté l’a acquise de ses heritiers. L’Estampe en a esté publiée dans le Journal des Sçavans du mois de Janvier dernier, & il y en a une explication par un sçavant Jesuite dans les Memoires de Trevoux de Fevrier. Mais Mr Moreau de Mautour qui a remarqué dans ce Dessein & sur cette Estampe des choses differentes de ce qui se trouve sur la Pierre originale, & sur les empreintes, a pris occasion de faire une Dissertation sur ce sujet, & il a donné lieu à une nouvelle Estampe plus exacte, dediée à Mr l’Abbé Bignon, & gravée par Mr Montbard, ruë S. Jacques, où elle se vend. Il y a au bas de cette Estampe un petit Extrait de sa Dissertation. Mr Moreau de Mautour pretend que la graveure dont l’empreinte forme un bas relief, represente une espece de Feste & de Sacrifice en l’honneur de Bacchus, & en memoire de sa naissance. On voit le petit Bacchus alaité par Ino sa premiere nourrice. Prés d’elle est la belle Hippa, autre nourrice celebrée par Orphée dans ses Hymnes. Le vieillard est Athamas, ou le vieux Silene, ou un Faune, qui fait la fonction de Sacrificateur, & tient une Patere pour les libations de vin sur le feu destiné pour le Sacrifice. Un Ministre du Sacrifice conduit un Bouc, victime qu’on immoloit à Bacchus, & tient un vase destiné pour recevoir le sang de la victime. Un Satyre jouë d’une espece de flute recourbée, instrument employé dans les Sacrifices & les Festes. Les Nymphes qui furent ainsi que les Satyres, les Bacchantes & les Faunes de la suite de Bacchus, portent des Corbeilles de fleurs & de fruits, semblables à celles que portoient sur leurs têtes les jeunes filles d’Athenes dans les Festes consacrées à ce Dieu, nommées Canephoria. Une Bacchante enjoüée presente à un des deux petits Amours, une Cimbale, espece d’instrument en usage dans les Orgies. Les Amours conviennent à Bacchus ; on les voit dépeints ensemble dans Anacreon, & sur les monumens antiques. Apollon debout, une Patere à la main, est icy comme une Divinité que les Egyptiens & les Grecs confondoient avec Bacchus. Les deux arbres, dont l’un est entouré de pampres, sont de la nature de ceux que Pline décrit, & qui sont propres pour la vigne. Le Pescheur hors d’œuvre, a peut estre raport à une fiction ingenieuse & morale de Theocrite dans l’Idylle qui porte ce titre. Ce Poëte né à Syracuse, vivoit à la Cour de Ptolemée Philadelphe, Roy d’Egypte, qui institua dans Alexandrie une Feste particuliere à l’honneur de Bacchus, selon Athenée, auquel temps on peut fixer l’Epoque de l’excellent Ouvrier de ce precieux Monument, qui auroit prés de deux mille ans d’antiquité.

Je dois, puisque j’ai commencé à vous parler d’antiquitez, vous entretenir de plusieurs articles curieux sur ce sujet.

On a trouvé un Tresor de Medailles depuis peu dans la Terre d’un Gentilhomme peu éloignée de cette Ville ; un Curieux qui a acheté ce qui en restoit, car une partie avoit déja esté dissipée ou fonduë par les Auteurs de la découverte, en a eu six mille sept cens quarante, c’est à dire quarante livres pesant, & il a jugé par l’examen qu’il en a fait que les Medailles du bas Empire, ne sont nullement à mépriser, & qu’elles instruisent autant que celles du haut Empire. Aprés les avoir nettoyées il les pesa, & il vit qu’il en falloit communément cent soixante pour faire une livre ; il prit ensuite quelques Medailles de Bronze des deux premiers siecles de l’Empire Romain, & il vit que huit Medailles de ce petit bronze estoient à peu prés du même poids que huit Medailles d’argent du haut Empire ; que quatre Medailles d’or, que deux Medailles de moyen bronze, & qu’une Medaille de grand bronze ; ce qui fournit une preuve que les Romains ont toûjours gardé des proportions dans la fabrique de leurs Monnoyes. Les Medailles du Tresor en question commencent à Valerien, c’est-à-dire à l’Empereur dont la destinée fut si triste, qui fut pris dans la guerre des Perses, & qui mourut d’une maniere tragique, & qu’elles finissent à Aurelien ; de sorte qu’elles ne comprennent que le regne de six ou sept Empereurs. On compte cependant dans cet amas de Medailles seize ou dix-sept Princes differens, car outre les deux Imperatrices & les deux jeunes Cesars qui appartiennent à la famille de Valerien, il y a des Quietus, des Ælianus, des Marius, je veux dire quelques-uns de ces Empereurs, qui ont seulement regné dans quelques Provinces de l’Empire Romain. Les revers sont admirables par leur diversité, & il en est peu dans le Recüeil de Mr le Comte Mezabarba, que l’on ne trouve dans ce Tresor, & il y en a même beaucoup que l’on ne trouve pas dans le Recüeil de ce Comte, quoy qu’il soit le plus ample & le plus fidelle qu’on ait des Medailles Latines ; comme on le peut voir par le livre qui en a esté fait.

On a trouvé il y a déja quelque temps auprés de Paris une petite Figure de bronze representant un jeune homme qui tient de la main gauche une Patere & de la droite un vase courbe. Plusieurs Antiquaires ont travaillé à l’explication de cette Figure, & le Pere Poupart sur tout, Religieux du Tiers-Ordre de Saint François à Picpus, a écrit sur ce sujet une Lettre à Mr l’Evêque de Soissons, qui luy fait beaucoup d’honneur par le tour ingenieux & solide avec lequel il explique cette Antique ; il prétend que c’est un jeune homme qui sert à boire, & il fonde son sentiment sur la coutume des Anciens qui se servoient de jeunes gens pour leur verser à boire. Horace nous apprend que leur air estoit gracieux, leur teste couronnée, leur chevelure frisée, leur habit ceint & retroussé, tel qu’on represente le jeune homme de la Figure ; leur employ estoit de servir le vin & de lever la table. La coutume de se servir de ces jeunes gens, ajoute le Pere Poupart, estoit une Imitation de la Fable de Jupiter & de Ganymede ; & les couronnes de ces jeunes gens estoient ordinairement de roses & d’autres fleurs selon les Saisons. Ciceron en parle dans une de ses Oraisons contre Verrez. Toutes ces choses se trouvant dans la Figure en question nôtre sçavant Picpus prétend que c’est un jeune homme qui sert à boire, & non un Joüeur de Flute courbe comme quelques autres l’ont prétendu. Il prouve enfin par l’autorité de Stace que c’est une Patere dont on se servoit pour faire des libations dans les repas. À l’égard de la difficulté qui naist de l’instrument courbe que ce jeune homme tient à la main droite, le Pere Poupart croit & avec fondement, que c’est une de ces cornes dans lesquelles les Anciens beuvoient, & dont Homere, Xenophon, Athenée & Plutarque parlent, & à l’égard de sa grandeur il dit qu’il ne faut pas s’en étonner, parce que les Anciens aimoient à boire de grands coups. Le Pere Poupart parent de Mr Poupart de l’Academie des Sciences, mort depuis peu, est connu par plusieurs ouvrages, & sur tout par la Traduction Françoise de l’Apotheose de l’Empereur Claude par Seneque avec des Notes.

On a trouvé à Smyrne une ancienne Inscription Grecque qui donne de l’exercice à tous les Antiquaires. C’est une Epitaphe pour Heria Thisbé, qui est qualifiée Monodiaria. C’est un terme de Musique qui signifioit une femme qui chantoit seule sur le Theatre. L’Auteur de cette Epitaphe est nommé Choroula, c’est-à-dire Musicien, qui joüoit de la Flute pendant les chants du Chœur. L’assemblage des voix & des instrumens, faisoit un des principaux agrémens des Pieces de Theatre, & comme le dit Seneque, on ne distinguoit la voix de personne en particulier, mais le concert de toutes les voix charmoit les oreilles. Plusieurs Antiquaires d’Allemagne ont publié leurs conjectures sur cette Inscription ; mais celle qui a paru la plus autorisée & qui a eu jusqu’à present le plus de partisans est celle de Mr Gutberletti de Francker, qui a cette occasion a publié une sçavante Dissertation où il traite à fond la matiere qui regarde les Joüeurs de Flutes de Anciens. Il parle entre-autres d’un certain Joüeur nommé Canus qui fit tant de plaisir à l’Empereur Galba en joüant de son instrument, que ce Prince luy donna de sa propre main cinq deniers, plutost sans doute, pour luy tenir lieu d’approbation que comme une récompense. Mr Gutberlethi parla avec beaucoup d’étenduë de la Musique & du Chœur des Anciens ; & il conclud que l’Heria Thisbé à qui l’Inscription est consacrée, estoit une Chanteuse, & nullement la celebre Thisbé tant chantée par Ovide à cause de ses amours & de sa mort funeste avec Pyrame. Mr Gutberlethi cite pour garent de son sentiment le celebre Guiter, qui dans son Tresor parle de cette belle Chanteuse à qui il donne de grandes loüanges. Cet Auteur rapporte quantité d’Inscriptions qui fortifient son sentiment.

Paraphrase de la septiéme Leçon des Lamentations de Jeremie, accommodée au temps present par Mr Maugard §

Mercure galant, avril 1710 [tome 4], p. 76-81.

Quoyque vous ne receviez ma Lettre qu’aprés Pasques, la plûpart des nouvelles qu’elle contient doivent estre des choses qui se sont passées pendant le Carême ; & comme c’est le temps où l’on chante les Tenebres, l’Ouvrage qui suit convient fort au temps où il a esté fait.

PARAPHRASE
de la septiéme Leçon des Lamentations de Jeremie, accommodée au temps present par Mr Maugard.

Si des bleds verdoyans la brillante apparence,
Du triste Laboureur reveille l’esperance,
Et semble avoir remis la joye en tous les cœurs :
Si l’Orge a dissipé les horribles langueurs
De ce cruel Vautour que l’on nomme famine,
Il faut en rendre grace à la bonté divine,
Qui tient sur nos besoins l’œil sans cesse arresté,
Et produit l’abondance en la sterilité.
Dés que l’Astre du jour recommence sa course,
Le Seigneur de ses dons ouvre la riche source ;
Son immuable foy tient ce qu’elle promet,
Et sa sainte parole est autant que l’effet.
Au ravissant attrait d’un si precieux gage,
Le Seigneur, dit mon ame, est mon seul heritage,
Eternelle beauté qui causez mes soupirs,
Je vous attends, venez combler mes saints desirs.
Le pauvre qui l’invoque en ce temps de misere,
Connoît qu’il a pour luy les entrailles d’un pere.
Toûjours bon, toûjours doux, il aime à s’approcher
D’un cœur qui plein d’amour vole pour le chercher.
Heureux qui sans crier contre la providence,
Reçoit de ses travaux la juste récompense.
Si les fleaux sont du Ciel de solides bienfaits,
Heureux qui de bonne heure a ployé sous leur faix.
Ce salutaire joug qu’il porte sur sa tête
Luy fait des plus grands maux surmonter la tempeste :
Le chef toûjours panché sous la main de son Dieu,
Il en benit les coups en tout temps, en tout lieu.
Si d’espoir à ses yeux brille quelque lumiere,
Il s’aneantira jusques dans la poussiere.
Il est de patience un modele parfait ;
Si quelqu’un luy décharge un indigne soufflet,
Se souvenant qu’il sort du vil sein de la bouë,
À celui qui le frape il tendra l’autrejouë :
Il a le cœur sans cesse humilié, contrit,
Et son ame d’affronts s’abbreuve & se nourrit.

Epigramme sur la stupidité des Impies §

Mercure galant, avril 1710 [tome 4], p. 81-82.

Je crois que l’Epigramme qui suit est aussi de saison. Elle est de Mr l’Abbé Jacquelot.

EPIGRAMME
sur la stupidité des Impies.

Seigneur, dont l’immense pouvoir,
Et dont la sagesse infinie
De chaque creature ont marqué le devoir,
De ce vaste Univers soûtiennent l’harmonie,
Et par ces grands effets se font sentir & voir.
Que de l’impieté qui regne dans le monde,
Je reçois dans le cœur une douleur profonde,
Des hommes aveugles & fous,
Et plus stupides que des bêtes,
M’osent demander où vous êtes,
Et rien ne peut être sans vous.

[Voyage des Indes Orientales, mêlé de plusieurs Histoires curieuses] §

Mercure galant, avril 1710 [tome 4], p. 94-98.

Je crois devoir, en vous parlant de Sçavans, vous entretenir de deux Livres qui sont dignes de la curiosité publique.

Il paroist depuis quelque temps un Livre intitulé Voyage des Indes Orientales, mêlé de plusieurs Histoires curieuses, en deux volumes in 12. fait par Mr Carré. Il a esté deux fois aux grandes Indes par ordre de feu Mr Colbert, & aprés beaucoup d’années il a bien voulu faire part au Public de ce qu’il a vû dans ces deux grands voyages. Ce qu’il dit sur la revolution de Bassura Ville de l’Arabie, & qui a esté de tout temps sous la puissance des Arabes, mais que les Turcs & les Arabes se disputent à present, est tres-curieux, ce qui donne occasion à Mr Carré de faire l’histoire du fameux Seva Gy, qui aprés avoir esté Officier du Roy de Visapour s’est élevé par sa valeur jusqu’à se faire un puissant Royaume & faire trembler tout l’Orient. En parlant de la fameuse Ville d’Alep il dit que la Chapelle du Consul y tient lieu de Paroisse, qu’elle est desservie par les Religieux de Saint François, & qu’il y a une Maison de Jesuites, ce qui luy donne lieu de faire l’éloge de ces Peres. Il paroist qu’il avoit le caractere d’Envoyé, puisqu’en parlant de D. Pedro de Castro riche Portugais, & qui estoit sur le point de prendre des engagemens avec les Mahometans, lorsqu’il le rencontra à Rhebac, Ville du Royaume de Visapour, il se sert de ces termes : puis me servant de toute l’autorité que me donnoit mon caractere, pour parler à des personnes scandaleuses, je luy parlay le plus chrestiennement qu’il me fut possible sur le pas qu’il alloit faire. On trouve à la fin de ce Voyage l’histoire de deux Dames Portugaises venduës par le même Dom Pedro de Castro à un Prince Mahometan. Cette Histoire est fort touchante & merite d’estre luë. Mr Carré estoit un Ecclesiastique d’une sainte vie & d’un merite qui luy a attiré un grand nombre d’amis dans l’Orient, & dans les Pays où il a voyagé.

Air nouveau §

Mercure galant, avril 1710 [tome 4], p. 167-169.

Je crois que je ne fermeray pas ma Lettre sans y ajoûter de nouvelles Prises, & de nouvelles Expeditions de Mer, la Marine de France ne laissant presque pas passer un jour sans se signaler. Cependant, pour observer la diversité que vous me demandez, & qui vous fait tant de plaisir, je passe à un Printemps nouveau, les Printemps estant tous les ans aussi ordinaires que souhaitez en ce temps-cy.

AIR NOUVEAU.

L’Air, Quoy dans nos Champs. [page] 168.
Quoy ? dans nos champs tout renouvelle,
Et le Berger qui venoit tous les ans
M’annoncer le Printemps,
Ne revient point parler d’une Saison si belle :
Peut-estre que l’Ingrat est devenu leger
Ah ! pourquoy faut-il que je l’aime
Je le devrois changer
Dans ma douleur extrême
Et je mourray sans me vanger.
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[Suite des Articles qui regardent la naissance de Monseigneur le Duc d’Anjou] §

Mercure galant, avril 1710 [tome 4], p. 169-173.

Je vous ay parlé des Réjoüissances qui ont esté faites en plusieurs endroits du Royaume, à l’occasion de la naissance de Monseigneur le Duc d’Anjou. Elles ont esté aussi fort grandes à Madrid, où Mr le Duc d’Ossune, donna une grande Feste accompagnée d’une piece de Theatre en Machine, à la representation de laquelle Leurs Majestez Catholiques assisterent, & il y eut aussi un grand Bal.

Plusieurs Envoyez Extraordinaires ont fait icy des Complimens au Roy & à toute la Maison Royale sur la naissance de ce Prince ; & quoy que plusieurs Souverains eussent icy des Envoyez, ceux qui se sont trouvez le plus à portée, n’ont pas laissé pour distinguer leur zele, d’en envoyer de nouveaux pour cette seule fonction.

La Reine Douairiere d’Espagne, qui fait son sejour à Bayonne, qui se fait admirer par ses manieres qui charment tout le monde, n’auroit pas manqué d’en envoyer, pour donner des marques de la joye qu’elle ressentoit de cette naissance ; mais son impatience fit qu’ayant icy Don Juan Thomas de Goyeneche, Chevalier de S. Jacques, son Ecuyer, Elle luy envoya une Lettre pour le Roy, & il eut l’honneur de saluer Sa Majesté & de luy faire des Complimens sur cette naissance, ainsi qu’à toute la Maison Royale.

Outre l’Envoyé que Monsieur l’Electeur de Cologne a en cette Cour, Mr le Comte de Saint Maurice s’y estant trouvé pour des affaires importantes qui regardoient Son Altesse Electorale ; ce Comte estant un homme fort distingué, elle luy envoya une Lettre pour presenter au Roy à l’occasion de cette naissance.

Comme il y a deux Nonces en cette Cour, un Ordinaire, & un Extraordinaire, ils ont tous deux fait des Complimens de la part de S.S. au Roy & à toute la Maison Royale.

Mr le Comte de Rivasso, Envoyé Extraordinaire de Monsieur le Duc de Parme, a fait les mêmes complimens au Roy & à toute la Maison Royale, & il a esté aussi conduit à toutes ces Audiences, avec les Ceremonies accoutumées.

[Article des Enigmes] §

Mercure galant, avril 1710 [tome 4], p. 342-346.

L’Article des Enigmes peut estre placé aprés un Mariage, puisque les Enigmes doivent estre regardées comme des Jeux d’esprit, & des divertissemens. Quoique la derniere parût assez facile, comme il y avoit plusieurs mots qui pouvoient approcher en quelque façon du veritable, plusieurs s’y sont trompez, & n’ont pas frappé juste au but, quoy qu’ils en ayent beaucoup approché. Le veritable mot estoit la Chandelle ou Lumiere portative. Ceux qui l’ont trouvé sont Mrs du Fresne, ruë saint Honoré ; de Roüillac le jeune ; la Guillotiere, Fauxbourg saint Germain ; du Perrey, du mesme Fauxbourg ; Godard, du Marais du Temple ; Jacques Thirou, du College Mazarin ; le Petit Brunet de la ruë saint Honoré ; le petit d’Augy ; le Solitaire du Quartier des Quinze-vingts & son Amie ; le Petit Maistre, de la Cour du Palais ; le President de l’Hostel de Valois ; le Poupon Malherbe ; le Devineur perpetuel, de la ruë S. Denis ; l’Homme à la Mode, de la même ruë ; l’Entesté des Lotteries ; & l’Enjoüé, qui ne rit plus depuis quelque temps ; l’Aimable Princesse, qui apprend le Latin, demeurant à Versailles ; & l’Amant de la Nymphe qui porte la Mouche sur le nez, demeurant à Paris ; la Jeune Muse renaissante G.O. la Mignonne aux Armes d’Espagne ; la Belle Babet, de la ruë des Prouvaires ; & la charmante N… de la ruë S. Denis ; l’Amante, Balduc, du coin de la ruë des Marmouzets ; la Sapho, du Quartier du Palais ; la Belle Marchande, de la ruë S. Denis ; & l’Enjoüée du Quartier du Louvre. Je vous envoye une Enigme nouvelle.

ENIGME.

D’un visage trompeur, j’aborde tout le monde,
Je cache mes défauts autant que je le puis,
Il est vray je n’ay pas, une bonté profonde,
L’on me fuit aussi-tost que l’on sçait qui je suis ;
Faire des Vœux au Ciel pour la santé du Roy,
Benir le nom de Dieu, c’est là mon caractere,
Mais l’occupation d’un si pieux employ,
Souvent n’empêche pas la perte de mon Pere.

Air nouveau §

Mercure galant, avril 1710 [tome 4], p. 346-347.

Voicy encore un Printemps nouveau.

AIR NOUVEAU.

[L’Air] L’Heureux Printemps. [page] 346.
L’heureux Printemps est de retour,
Sa douceur inspire l’amour ;
Son émail enrichit nos vergers & nos plaines :
Mais tant de beautez tant d’appas,
Peuvent-ils soulager mes peines ;
Si mon Iris ne m’aime pas.
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