APPEL À COMMUNICATION
MSH-Sud, Montpellier 19-21 juin 2019
Contexte
Le programme de recherche-action NumeRev, qui a pour finalité pratique de développer un portail de ressources numériques interdisciplinaire, a débuté en juin 2016 à travers un appel à manifestation d’intérêt lancé par la MSH-Sud. Depuis, grâce aux apports de chercheurs – issus de toutes disciplines – constituant l’équipe et les porteurs de revues NumeRev, ainsi que les invités à ses journées d’étude, nous avons abordé divers aspects du programme, lesquels nous ont confortés quant à son intérêt mais nous ont également interpellés sur les difficultés inhérentes à l’interdisciplinarité. Un point en particulier s’est progressivement affirmé comme un des noeuds consubstantiels à l’élaboration d’un projet interdisciplinaire : les problématiques liées aux “vocables” encadrant les activités, les pratiques et la culture des différentes communautés de chercheurs. Ces observations et constats viennent corroborer les travaux de Wenger (1998), lesquels ont mis au jour qu’une communauté de pratiques est caractérisée par trois dimensions interdépendantes, à savoir une dimension sociale et pragmatique liée à l’existence d’une activité commune et partagée, une dimension symbolique, soit le sentiment d’appartenance à un groupe social, ainsi qu’une dimension cognitive, qui repose sur un vocable commun, le partage de ressources et d’outils informationnels. Ces trois dimensions sont déterminantes pour penser et opérer l’interdisciplinarité. A travers le projet NumeRev, nous soutenons l’idée que pour faire dialoguer les disciplines entre elles il est nécessaire d’une part d’identifier les objets de recherche partagés et, ce faisant, de s’accorder sur un vocable ou tout au moins de définir des passerelles terminologiques communes. L’ambition du portail NumeRev étant de développer un système de gestion des connaissances interdisciplinaires favorisant l’intellection scientifique, comment concevoir cet outil qui vise à encourager les échanges de savoirs, le consensus ou la controverse à partir de contenus hétérogènes non initialement conçus pour dialoguer ?
Enjeux
A lire Roche (2007) il existe « des domaines scientifiques et techniques qui nécessitent une conceptualisation du monde et la création de dénominations univoques de ses constituants […] C’est-àdire un moyen d’expression qui permette à la fois de prévenir les erreurs d’interprétation et d’empêcher les fautes de raisonnements »… Ces formes d’organisation du savoir contribuent à l’identité de chaque discipline en imprimant une démarcation plus ou moins nette entre elles. Ces formes de conceptualisation du monde ne sont cependant pas étanches les unes aux autres. Dès lors, comment les partager ? Sous quelles conditions ? Et à quel prix, entre exigence d’hyperspécialisation disciplinaire et recherche - voire injonction - de complémentarité ?
Si l’on questionne ainsi de manière théorique et pratique l’interdisciplinarité dans l’objectif de favoriser l’intercompréhension entre les disciplines, quels pourraient être ces « connecteurs interdisciplinaires », en tant que supports de coordination et d’intégration des savoirs et des pratiques. Ces interrogations ne sont pas nouvelles et ont fait l’objet de nombreux travaux fondateurs – qu’il sera intéressant de réinterroger à l’aune des humanités numériques – dans le dernier quart du XXe siècle, au moment de l’essor des grands projets de recherche interdisciplinaire et inter-acteurs, associant des catégories d’acteurs très hétérogènes. A titre d’exemple, nous pouvons citer les travaux de Star et Griesemer (1989) sur la notion d’« objet-frontière » ou ceux de Barrué-Pastor (1992) sur les « notions opératoires communes ». Dans un autre ordre d’idées, nous pouvons interroger les travaux de Morin (1994) évoquant les « concepts organisateurs de caractère systémique » et leur influence sur les « schèmes cognitifs réorganisateurs ». Pour Morin, il est ainsi relativement fréquent que « certaines notions migratrices fécondent un nouveau champ où elles vont s'enraciner, même au prix d'un contre-sens. […] De fait”, estime-t-il - et nous pourrons en discuter -, “une erreur par rapport à un système de références peut devenir une vérité dans un autre type de système. La notion d'information, issue de la pratique sociale, a pris un sens scientifique précis, nouveau, dans la théorie de Shannon, puis elle a migré dans la biologie pour s'inscrire dans le gène ; là elle s'est associée à la notion de code, issue du langage juridique, qui s'est biologisée dans la notion de code génétique. La biologie moléculaire oublie souvent que sans ces notions de patrimoine, code, information, message, d'origine anthropo-sociomorphe, l'organisation vivante serait inintelligible. » (Morin, 1994). Dans les faits, quels sont les effets de ces passerelles terminologiques et autres glissements inter-disciplinaires sur les sciences ? Des réflexions et retours d’expériences sur ces questions seront particulièrement intéressants dans le cadre de ce colloque.
Aujourd’hui, les recherches émanant du Web des données appliquées à l’écosystème scientifique, portant la promesse de relier les données scientifiques entre elles afin de construire une science plus ouverte et novatrice, nous conduisent à penser que l’indexation des contenus, leurs caractérisations et leurs (inter)connexions sémantiques pourraient permettre d’interagir au-delà des frontières disciplinaires. Le projet NumeRev s’inscrit du reste dans ce paysage, tout comme aux échelles nationale et européenne les initiatives portées par OpenEdition, les TGIR Huma-Num et PROGEDO, les ERIC CLARIN et DARIAH, etc. Parmi ces initiatives se trouve, notamment, un domaine de recherche informatique en pleine expansion (Shvaiko et Euzenat, 2013), « l’alignement d’ontologies », consistant à interconnecter des données entre elles en bâtissant des grilles de correspondance entre des standards terminologiques différents. Or ce champ de recherche ne regarde pas que les informaticiens ; il concerne l’ensemble des disciplines, dans leurs épistémologies propres, tant les questions ontologiques sont intrinsèques à l’identité des disciplines, construites par des mécanismes complexes d’intégration, de différenciation et d’autonomisation.
Ce colloque, qui entend réunir des chercheurs de toutes disciplines (SHS et autres sciences) travaillant notamment – mais pas exclusivement – sur l’épistémologie des sciences, la caractérisation des activités scientifiques, la terminologie scientifique, les données de la recherche, les mécanismes de coordination du travail scientifique, le web sémantique, les humanités numériques, etc. , vise ainsi à mieux caractériser le champ des possibles en termes d’articulation entre les disciplines et leurs productions. Un regard sur les changements d’habitudes, d’usages et de pratiques inhérents notamment aux humanités intra et interdisciplinaires en termes lexicographiques, épistémologiques, méthodologiques. D’une discipline à l’autre, l’acception même du mot « concept » varie sensiblement, reposant notamment sur des différences fortes en termes d’approches méthodologiques (expérimentation, observation, théorisation…). De l’autre côté du spectre, seront également recherchés les retours d’expérience sur des projets interdisciplinaires ayant eu à co-construire des notions communes d’observation et d’analyse. Au jour de ces réflexions, quels systèmes d’interrelations voire d’équivalences construire, avec quelles méthodologies ? Comment co-construire avec les sciences du numérique des systèmes de modélisation, d’info-visualisation, voire d’automatisation ? Quelles limites peut-on identifier ?
Direction scientifique :
ROUSSEAU Frédéric, Directeur MSH-Sud, Pr en Histoire, Université Montpellier 3
VERLAET Lise, MCF en Science de l’Information et de la Communication, Université Montpellier 3
MARY Julien, Référent scientifique MSH-Sud, Historien
Comité scientifique :
BACHIMONT Bruno, directeur à la recherche, Sorbonne Universités (UTC)
BAUDE Olivier, Pr en Sciences du Langage, Université Paris-Nanterre
GHERSI Gérard, Pr en Agronomie et Sciences Économiques, Université Laval
GLASSEY Olivier, Maître d’enseignement et de recherche en Sociologie, Université de Lausanne
LACOUR Pierre-Yves, MCF en Histoire moderne, Université Montpellier 3
LALI Pina, Pr en Sociologie, Université de Bologne
LAURENT Anne, Pr en Informatique, Université de Montpellier
LIBOUREL Thérèse, Pr émérite en Informatique, Université de Montpellier
LIQUÈTE Vincent, Pr en Sciences de l’Information et de la Communication, Université de Bordeaux
MAUREL Dominique, Pr en Sciences de l’Information, Université de Montréal
PAVEAU Marie-Anne, Pr en Sciences du Langage, Université Paris 13
PÉRÉA François, Pr en Sciences du Langage, Université Montpellier 3
RANWEZ Sylvie, Pr en Informatique, École des Mines d’Alès
ROBIN Agnès, MCF-HDR en Droit, Université de Montpellier
TINLAND Olivier, MCF en Philosophie, Université Montpellier 3
VALLUY Jérôme, MCF-hc HDR en Sciences Politiques, Université Panthéon-Sorbonne
VIAL Stéphane, Pr en Design, Université du Québec à Montréal
La direction scientifique se réserve le droit de solliciter des évaluateurs extérieurs selon l’expertise requise par les propositions. Modalités de soumission et calendrier Les propositions rédigées en français prendront la forme d’un résumé (10 000 caractères espaces compris) présentant le contexte, la problématique, le plan envisagé et les principaux éléments de bibliographie. Les résumés seront à déposer sur le site NumeRev.
Remise des résumés : 31 mars 2019
Réponse aux intervenants : 30 avril 2019
Inscription au colloque : 20 mai 2019
Colloque : 19-21 juin 2019
Remise de l’article : 10 septembre 2019
Réponse aux auteurs : 31 octobre 2019
Publication des articles : novembre-décembre 2019
Les articles devront se conformer aux normes de rédaction de la revue. Après évaluation, certains articles formant un tout homogène constitueront le premier numéro de la revue interdisciplinaire NumeRev ; les autres articles seront publiés dans les actes du colloque