Lundi 19 mars 2018
Bâtiment B, espace recherche (UFR ALC)
Programme
15h15, Pierre Cassou-Noguès : « Phobic Postcards »
Cette communication présente un projet d'écriture théorique numérique que je mène sur la plate-forme Scalar sur le thème de la phobie. La phobie est une peur dont l'objet est reconnu inoffensif par le sujet même qui l'éprouve. Dans la phobie, la peur est aberrante, le sujet en est conscient, et cela ne l'empêche pas de l'éprouver. Comme le remarquait déjà Pascal dans l'une de ses Pensées, la phobie (le vertige en l'occurrence) semble marquer une limite à la puissance de la raison, une limite à la philosophie en fait. Peut-on parler raisonnablement de la phobie ou passe-t-on alors forcément à côté ? Comment parler de la phobie ? Mais peut-on se contenter d'en parler ? Lacan note quelque part que l'objet phobique est celui que l'on ne peut pas ne pas regarder. Faut-il alors essayer de montrer l'objet phobique, de l'inclure en image au moins dans la discussion, et rompre avec le médium de la philosophie depuis Descartes, le texte ?
15h45, Alexandra Saemmer : « De quelques enjeux de l’impérialisme algorithmique. Et de quelques tentatives d’insurrection »
Beaucoup d’oeuvres de génération automatique et de net-art sont des « prophéties dystopiques » d’un régime algorithmique à venir. Je placerai au centre de mon intervention une oeuvre en cours intitulée Nouvelles de la Colonie, portée par plusieurs profils de fiction sur facebook. Je me pencherai d’abord sur quelques éléments de l’« architexte » de facebook : ces menus, cases à remplir et éléments de discours préfabriqués qui, sur ce dispositif, guident et orientent la pratique expressive de l’usager afin de mettre en place une captation communautaire des goûts et préférences du sujet. Je montrerai que, malgré de grandes constantes, l’architexte n’est pas les même d’une version de facebook à l’autre : les variations sont en outre conditionnées par langue d’affichage. Dans une deuxième partie, j’essaierai de cerner le projet de société, politique et économique, de facebook qui motive ces spécificités de l’architexte. Dans une troisième partie, je me pencherai sur ce qui fait, pour le moment, encore obstacle à la réalisation de ce projet : la barrière de la langue. Voilà pourquoi la traduction automatique représente un enjeu crucial pour l’entreprise. Une dernière partie sera consacrée à quelques sorties possibles la normalisation algorithmique galopante du langage par les dispositifs numériques.
16h15 : Discussion
16h45 : Pause
17h, conférence de Bertrand Gervais : « The Readies (de Bob Brown à dj readies). Un imaginaire technique du livre et de la lecture »
La volonté de trouver de nouveaux dispositifs de saisie, de conservation et de transmission des textes s’est manifestée de façon récurrente tout au long du XXe siècle. Et le processus s’est intensifié au XXIe siècle avec les plus récents développements informatiques qui ont fait se multiplier les surfaces de lecture, de la tablette tactile et des liseuses électroniques aux écrans de plus en plus précis de nos ordinateurs. Ces nouveaux dispositifs nous font entrer dans une culture de l’écran qui semble sonner le glas du livre et de sa culture. L’actuel imaginaire de la fin du livre s’alimente d’ailleurs de cette évolution technique, de la mise en ligne de plus en plus massive du patrimoine littéraire mondial, dont le projet Books de Google est l’exemple idoine, ainsi que de la popularité du web social et des plateformes de diffusion. Or, cette recherche d’un dispositif technique capable de rivaliser avec le codex ne s’est pas fait d’un seul coup, elle n’a pas abouti de façon spontanée à un modèle fonctionnel. Le désir de renouveler les instruments mêmes de la lecture a laissé de nombreuses traces, des projets de machines à lire morts au feuilleton. Ces projets parlent tous d’un souhait, celui de rénover les techniques de conservation et de diffusion des textes, ainsi que les mécanismes mêmes de la lecture, qui n’évolue jamais assez rapidement. J’aimerais dans le cadre de cette conférence m’arrêter à un exemple précis de machine à lire, une machine qui n’a peut-être jamais existé en bonne et due forme, mais qui n’en a pas moins suscité une importante réception critique, jusqu’à s’imposer comme l’idée maitresse d’une rhétorique contestataire. Ce sont les Readies de Robert Carlton Brown.
Inscrit dans le cadre du programme « Littérature à crédit » coordonné par Emmanuel Bouju pour l'Institut Universitaire de France, et dans celui du programme « Penser le réel » d'ACE, le cycle de journées d’étude « Usual Suspect » commence par interroger le défi numérique, c’est-à-dire la suspicion qui peut naître à l’encontre des nouvelles pratiques littéraires au contact des dispositifs numériques : en quoi ces pratiques renouvellent-elles les enjeux attachés à la création littéraire ou textuelle ? Le numérique et ses outils – qu’il s’agisse d’envisager le rapport de la littérature à sa mécanisation voire son automatisation, ou bien l’émergence de supports neufs venant concurrencer le livre et modifier le statut du texte, ou encore l’étoilement du geste littéraire sur différentes plateformes dont le fonctionnement implique des contraintes souvent invisibles (blogs, réseaux sociaux…) – invite à repenser la définition de la littérature. Au-delà du constat d’une menace ou d’une crise, nous envisageons cette journée comme l’occasion d’interroger les oeuvres telles qu’elles sont et telles qu’elles se font, afin de prendre la mesure de ce qu’est ce défi aujourd’hui. 14h30 > Accueil et introduction de la journée 14h45 > Gaëlle Debeaux, « La littérature face au défi numérique en 2018 : un état des lieux » Près de trente ans après la reconnaissance de l’existence de quelque chose comme une littérature numérique, c’est-à-dire d’une littérature qui se fait sur un ordinateur et pour être lue ou expérimentée sur un ordinateur, qu’en est-il du débat qui agita alors les acteurs du monde de l’écrit – auteurs, éditeurs, lecteurs ? Jean Clément fait paraître en 2001 un article, « La littérature au risque du numérique », qui en résume les enjeux ; la littérature, au contact du dispositif électronique, courrait plusieurs dangers qui apparaissent comme autant d’opportunités : le texte se détache de son support livresque pour devenir virtuel, l’auteur, face aux possibilités de la génération automatique, cesse de représenter une fonction centrale dans l’oeuvre, le lecteur est plus que jamais sollicité pour participer à l’avènement du texte, et les nouveaux modes de diffusion bousculent les hiérarchies éditoriales. Cette « littérature du court-circuit » (Clément) apparaît alors comme une menace, dans un contexte décliniste qui ne cesse de constater l’avènement de la mort de la littérature. S’il est vrai que le numérique a représenté un bouleversement porteur des germes d’une possible révolution, le risque ou la menace ne semblent cependant pas avoir (encore ?) fait leur oeuvre. Je souhaite, dans cette communication, proposer un état des lieux de la question en 2018 : le numérique représente-t-il toujours un défi pour la littérature aujourd’hui ? Le défi est-il de même nature que celui constaté par les premiers chercheurs s’étant penchés sur le phénomène ? En quoi ce qu’il reste de ce défi contribue-t-il à la redéfinition des contours du littéraire ?