« Le numérique : une crise de la culture ? »
Journée d’Étude de la Chaire Humanum Labex Obvil– Sorbonne Université
Jeudi 12 janvier 2017 10h-18h
Collège des Bernardins
Petit auditorium
« Notre héritage n’est scellé d’aucun testament ».
Si Hannah Arendt reprend l’aphorisme de René Char en ouverture de Between Past and Future, traduit en français par La Crise de la culture, c’est avant tout pour interroger les dérives d’un monde moderne que le passé ne suffit plus à éclairer. Pour le poète comme pour l’homme politique ou le citoyen, la situation est semblable à celle décrite par Tocqueville : « le passé n’éclairant plus l’avenir, l’esprit marche dans les ténèbres ». Et pour Arendt, cette crise de la culture renvoie à une faillite de la transmission, c’est-à-dire un abandon et une remise en cause de toutes les institutions traditionnelles.
Le numérique est souvent associé à une violente rupture des traditions et est couramment précédé, dans les langages quotidiens, des termes « révolution » « transformation », ou « mutation ». Sous tous leurs aspects, sociaux, techniques, politiques, culturels, nos vies numériques nous installent dans une « brèche entre le passé et le futur », suspendues entre un passé avec lequel le lien semble irrémédiablement rompu et un avenir obscurci par d’inquiétants renouveaux totalitaires dans lesquels les concepts fondamentaux de liberté, de pluralité ou d’éducation semblent remis en cause. La « transition numérique » soulève ainsi des questions en termes de pouvoir et de contrôle au sein des industries de la connaissance comme de l’action politique. Elle a été comparée à une «grande conversion numérique », proche d’un processus civilisationnel ou religieux, dans lequel l’éducation et le goût seraient profondément transformés par des rationalités algorithmiques inédites. Des métamorphoses de la lecture et de l’écriture à la crise de l’éducation, de la tragédie des biens communs à l’atrophie d’un espace public sous « gouvernementalité algorithmique », les conditions de l’homme moderne en régime numérique incitent à un dialogue interdisciplinaire et épistémologique sur la catégorie de l’« humain ».
Car la situation incertaine de « crise de la culture », inscrite toutefois dans une certaine conception des industries culturelles qu’il convient d’interroger, est aussi un appel à la pensée depuis « un intervalle dans le temps qui est entièrement déterminé par des choses qui ne sont plus et par des choses qui ne sont pas encore ». La crise de la culture numérique renvoie tout aussi bien à un divorce entre la pensée et la réalité, exigeant de revisiter tout l’héritage philosophique occidental pour penser sa condition propre, entre « nouveau réalisme » et « matérialisme numérique ». Cette « transition numérique » se rapprocherait alors d’un moment de vérité dans lequel la réalité est « opaque à la lumière de la pensée », et la pensée « astreinte soit à perdre complétement sa signification soit à réchauffer de vieilles vérités qui ont perdu toute pertinence concrète ». Et, prises dans une tâche difficile, ce dont héritent les humanités tout comme les sciences de l’homme et de la culture, c’est de situer l’impératif de transmission face à l’informatique et au numérique.
Intervenants :
- Maurizio Ferraris, Professeur à l’Université de Turin, directeur du Centre interuniversitaire d’ontologie théorique et appliquée.
- Milad Doueihi, Professeur à l’Université Paris-Sorbonne, directeur de la Chaire Humanisme numérique, Sorbonne-Universités.
- Nicole Dewandre, Philosophe, Centre commun de Recherche – Commission Européenne.
- Stéphan-Eloïse Gras, Chercheuse en postdoctorat, chaire Humanisme numérique, Sorbonne-Universités.
- Jessica Feldman, Doctorante, département Media, Culture and Communication, Université de New York.
- Tobias Matzner, Chercheur, New School for Social Research – New York
NB : les interventions, en français ou en anglais, durent environ 40 mns et seront suivies d’une discussion.